
Élues locales, premier réseau national des femmes élues, a dévoilé vendredi 3 décembre 2021 les résultats d’une enquête inédite menée auprès de 1.000 représentantes politiques sur les violences sexistes subies pendant l’exercice de leur mandat (1). Résultats peu glorieux. Injures, harcèlement, violences verbales et parfois physiques, plus de 74% des femmes élues ont un jour subi ce type de comportement, selon cette étude. À ce pourcentage déjà vertigineux s'ajoute le fait que "seulement un agissement sur deux a été rapporté aux responsables politiques" et que "des mesures ont été prises dans uniquement 10% des cas". "Cette enquête doit être une prise de conscience pour les collectivités ! ", souhaite la présidente du réseau Élues locales, Julia Mouzon. Car ces chiffres témoigneraient d'"une omniprésence du sexisme dans la politique française" et "ont vocation à appeler une prise de conscience collective et sérieuse". Il ne faut plus qu'"une femme sur trois pense à abandonner la politique à la suite de comportements sexistes", comme c'est le cas aujourd'hui, poursuit-elle.
"Un inconscient rampant"
Dans la sphère politique locale, les femmes sont loin d’être considérées comme égales aux hommes : "Sous-représentées, écartées et parfois empêchées dans l’exercice de leurs fonctions, elles sont 48% à ne pas se sentir légitimes à leur poste". Fabienne Helbig, conseillère municipale à Talence en Gironde, témoigne lors de la conférence de presse du 3 décembre : "Quand j'ai commencé, on m'a demandé si mon mari était d'accord", s'indigne-t-elle, précisant qu'elle est élue "d'une collectivité de plus de 40.000 habitants". Elle se réjouit cependant d'avoir "trouvé un outil imparable" pour "objectiver le sexisme ordinaire" qui sévit lors des conseils municipaux : elle minute le temps de parole des femmes et des hommes. Résultat : en moyenne 3 minutes pour les femmes et 9 minutes pour les hommes. "Ce n'est pas tant que les femmes ont moins à dire mais plutôt qu'elles ont l'habitude d'être interrompues", alors "elles apprennent à aller à l'essentiel, à être concises dans leur prise de parole". Les interruptions lors des prises de parole représentent en effet 47% des comportements sexistes selon l'étude. "On est souvent face à un inconscient rampant", analyse encore Fabienne Helbig, qui cite un élu qui la confondait systématiquement avec une autre conseillère. S'il n'avait pas de volonté d'être sexiste, il la "rendait invisible" dans son incapacité à la reconnaître, malgré le temps et les rappels répétés.
Répartition inégalitaire des délégations
Une autre illustration du sexisme ordinaire apparaît dans la répartition très inégalitaire des délégations : enfance, culture, social et communication (39%) arrivent en tête, loin derrière le budget (10%), la sécurité (6%) ou l’énergie (0%). "La politique reste la chasse gardée des hommes", assure Julia Mouzon. "Avec cette étude, nous avons non seulement voulu démontrer l’inégalité femmes-hommes mais surtout chiffrer les trop nombreux comportements sexistes subis par les femmes élues." Blagues dévalorisantes, humiliations, injures : parmi les 74% des femmes élues ayant été confrontées à des remarques ou comportements sexistes au cours de leur mandat, 20% ont subi des remarques liées à leur apparence physique - une forme de domination les réduisant à l’exigence d’être attrayantes. L’intimidation, les menaces et la violence physique ne sont pas en reste puisque 5% des femmes élues déclarent avoir été victimes de harcèlement, 3% été menacées de mort ou de viol et 1% d’entre elles ont été frappées.
"On mesurera ton ambition à la hauteur de tes talons"
À travers cette étude, 82% des femmes élues estiment ne pas se sentir accompagnées dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et ce au sein même de la structure où elles exercent leur mandat. "Ce chiffre est révélateur du phénomène : au-delà des comportements sexistes, aucune procédure de signalement n’est mise en place, comme une cellule d’écoute par exemple, pour pouvoir engager par la suite des mesures pénales", regrette Julia Mouzon. 72% des femmes élues déclarent subir ces comportements là où elles exercent leurs fonctions contre 15% sur les réseaux sociaux. Le réseau Élues locales estime qu'"on a tendance à s’imaginer que le sexisme en politique appartient au passé" mais rappelle qu'"il est encore bel et bien présent et à tous les niveaux : en conseils municipaux, en circonscription, au sein des partis…", comme l'illustre d'ailleurs différents témoignages d'élues locales s'étant exprimées lors de la conférence de presse.
Selon le réseau, "le sexisme s’opère de façon plus discrète, plus insaisissable" et "les obstacles rencontrés provoquent un sentiment d’illégitimité qui conduit bon nombre de femmes politiques à renoncer aux responsabilités", avertit Bérangère Couillard, députée de la Gironde (33). "Nous soulevons régulièrement des faits constatés dans nos instances communales et communautaires : mains baladeuses, remarques sexistes... Ces comportements sont banalisés, justifiés par 'le côté tactile' ou 'c'est comme ça, c'est sa façon d'être'" ou bien encore 'c'est normal, c'est la géguerre'", témoigne Enora Hamon, directrice générale adjointe de la fondation La France s'engage, qui estime avoir, depuis le début de sa carrière, "coché toutes les cases" dans les formes de sexisme subi. "On mesurera ton ambition à la hauteur de tes talons", lui avait-on prédit lors son début d'activité en cabinet de consulting.
Une formation à l'horizon 2022
Malgré des remontées aux instances compétentes, il n'y aurait aucune prise en compte. "Jusqu'à quand ces élus se sentiront-ils tout puissants, intouchables ?", dénonce Peggy Plou, vice-présidente de la communauté de commune de Gâtine Racan. C'est bien cette "omerta" que l'enquête entend dénoncer. Questionné sur l'intérêt d'étendre la parité au sein des plus petites communes de moins 1.000 habitants (voir notre article du 12 mars 2021), le réseau Élues locales l'estime nécessaire sans pour autant y voir la solution au problème : "Depuis vingt ans, on accentue les contraintes paritaires sans pour autant que les comportements changent. La loi ne protège pas contre cette violence systémique."
Élues locales souhaite donner suite à cette étude et lever les barrières que peuvent rencontrer les femmes élues. "Le combat sur l’égalité femmes-hommes ne s’arrête pas aux frontières françaises", affirme Julia Mouzon. "Le 4 décembre marque le lancement de la Journée internationale des femmes en politique qui aura pour objectif de rassembler les femmes partout dans le monde et proposer des actions concrètes pour lutter contre les violences sexistes."
À horizon 2022, le réseau Élues locales lancera une formation sur les outils juridiques et pénaux, pour permettre aux femmes de se défendre davantage. Une demande qui avait été formulée par Solène Le Monnier, conseillère municipale de Berric, qui témoignait elle aussi et avec émotion des difficultés rencontrées en milieu rural. Lors de son premier conseil municipal, ses deux collègues l'invitent à s'assoir entre eux "pour la canaliser", se rappelle celle qui estime que "quand on est élue conseillère pour six ans, il faut un soutien, une aide, au-delà des partis et une formation en début de mandat".
Créé en 2012 par Julia Mouzon, Élues locales est le premier réseau national de femmes élues agréé par le ministère de l’Intérieur. Son ambition est d’encourager la féminisation de la vie politique et de soutenir toutes les femmes qui s’engagent dans un mandat local. "Les femmes transforment la ville par la politique, elles ont leur propre vision de la ville, c'est pour ça que l'on veut des femmes en politique", conclut Julia Mouzon. Mais pour que les femmes aient envie de s'investir, "il faut que le sexisme sorte du seul domaine des femmes qui la subissent". "Il faut que les femmes puissent le dénoncer, qu'elles puissent être visibles, qu'elles se parlent entre elles et qu'elles bénéficient d'un réseau fort qui les soutient."
(1) Enquête menée du 15 octobre au 25 novembre 2021
Quelques jours après la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes - qui s'est déroulée le 25 novembre 2021 -, l'Association des DRH des grandes collectivités a dévoilé un "kit" de prévention des violences sexuelles et sexistes permettant de protéger les agents territoriaux. T.B. / Projets publics |
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