
Un moyen, non une fin en soi. C'est ainsi que les policiers municipaux perçoivent la nouvelle disposition législative les autorisant à verbaliser les contrevenants aux mesures de confinement, votée définitivement ce dimanche (et soumise depuis à l'examen du Conseil constitutionnel) dans le cadre du projet de loi visant à instaurer l'état d'urgence sanitaire. "Le but n'est évidemment pas de dresser des contraventions, mais que les gens restent enfin chez eux", résume, Fabien Golfier, secrétaire général de la fédération autonome de la fonction publique territoriale, chargé de la police municipale, interrogé par Localtis. "En nous permettant de relever les infractions, la loi nous dote d'un nouvel outil qui nous permet de mener notre mission jusqu'à son terme, alors que nous étions jusqu'ici cantonnés à de la prévention. Pour autant, nous espérons avoir à l'utiliser le moins possible", ajoute-t-il. Il est certain que le respect du confinement aurait le mérite de simplifier diablement les choses, la mise en œuvre du dispositif étant tout sauf aisée.
Des consignes ambiguës
Première difficulté : faire appliquer des consignes ambiguës. "La communication gouvernementale est un peu confuse", déplore Fabien Golfier. Dans sa décision relative à la demande de confinement total rendue dimanche, le Conseil d'État semble partager le constat. Les juges du Palais-Royal y soulignent "l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population". Dans leur collimateur, les déplacements pour motifs de santé "sans autre précision quant à leur degré d'urgence", la dérogation liée à l'activité physique qui "apparaît trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le jogging" et le "fonctionnement des marchés ouverts […] dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale". Autant de sujets que le Conseil d'État a demandé au gouvernement de préciser, voire de réexaminer. Comme le souligne encore la plus haute juridiction administrative, "une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales".
Deux France ?
Cette information "précise et claire" apparaît d'autant plus nécessaire que rode à nouveau le spectre d'une France coupée en deux. Dans les campagnes, l'exode des Parisiens a été fort mal ressenti (voir notre article). La verbalisation de joggeurs isolés en rase campagne passe également mal quand, dans le même temps, des images de marchés parisiens particulièrement bien achalandés, sans aucun respect des "gestes barrières", tournent sur les réseaux sociaux. La petite musique d'une médecine à deux vitesses commence également à se faire entendre, des médecins rapportant qu'ils ne sont pas testés à temps alors que des ministres, eux, le seraient dès les premiers symptômes. Toutefois, l'éloignement des territoires ruraux, qui avait contribué à alimenter la crise des gilets jaunes, est en passe de devenir un atout, tant il est vrai qu'il semble plus aisé d'être confiné dans une maison de campagne avec jardin que dans un appartement de la petite couronne parisienne.
Une application délicate et disparate
Faute de consignes claires, l'application est donc délicate, et nécessairement disparate. "De toute façon, il y aura des loupés", prévient Fabien Golfier, à qui l'on évoquait l'exemple, rapporté par Ouest-France, de quatre personnes verbalisées par la gendarmerie à Falaise pour avoir assisté à un enterrement de leur mère ou grand-mère. "L'exercice requiert du discernement ; ce n'est pas toujours facile", argumente-t-il. Le policier espère que ses concitoyens seront les premiers à en faire preuve, "plutôt qu'à chercher à tout prix le vide juridique, la petite faille dans le dispositif". Pour l'heure, il constate que les contrôles se déroulent plutôt dans de bonnes conditions et que les "grincheux" se font rares. "Nous avons contrôlé des marchés forains ce week-end : les consignes étaient très majoritairement respectées et nous avons même très souvent reçu encouragements et remerciements. Nous sommes globalement sur la bonne voie. On espère seulement que les amendes finiront par remettre les derniers récalcitrants dans le droit chemin."
Les amendes ne peuvent pas tout
Les récalcitrants semblent toutefois encore nombreux. C'est d'ailleurs ce qui a motivé le gouvernement à enrôler les policiers municipaux aux côtés des 100.000 agents déjà dépêchés par l'État : "Les besoins de contrôle du respect de ces obligations de confinement […] montrent aujourd’hui tout l’apport que pourraient représenter les 20.000 policiers municipaux", souligne ainsi l'exposé des motifs de l'amendement gouvernemental. Reste que Fabien Golfier ne se fait guère d'illusions sur l'efficacité de ces amendes dans certains quartiers "difficiles" : "La porte-parole du gouvernement nous demande de ne pas faire d'amalgames. Mais il faut bien constater qu'on retrouve toujours les mêmes problèmes aux mêmes endroits. Ce sont toujours les mêmes qui empoisonnent la vie du quartier." "Ces jeunes ne se rendent pas compte qu'ils jouent non seulement avec leur santé, mais également avec celle de leurs familles." Et aussi avec celles des forces de l'ordre ou de la sécurité civile.
Renforcement, prolongation des mesures et couvre-feux
Pour autant, un confinement total paraît – pour l'heure du moins – exclu. Le Conseil d'État a souligné dans sa décision les multiples répercussions, "qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie", qu'une telle décision emporterait, tout en indiquant qu'un tel confinement peut être envisagé "dans certaines zones". Le président de la République y serait lui-même opposé. C'est du moins ce qu'il aurait indiqué ce jour au cours d'une réunion avec les représentants des cultes.
En revanche, la prolongation et le renforcement des mesures paraissent acquis (voir notre encadré ci-dessous sur les annonces du Premier ministre lundi soir, Localtis reviendra en détail sur le décret publié le 24 mars). Pour preuve, le scénario transmis par le gouvernement au Haut Conseil des finances publiques dans le cadre du premier projet de loi de finances rectificative pour 2020 est fondé "sur des mesures de restriction de l'activité et des déplacements pour une durée indicative d'un mois au total".
Quant au renforcement des conditions de déplacement, le Conseil d'État rappelle que "les représentants de l’État dans les départements comme les maires […] ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient". Plusieurs autorités locales n'ont d'ailleurs pas attendu ce rappel pour passer à l'action. Partout en France, préfets et maires interdisent accès aux parcs, jardins publics, forêts, etc. Plus encore, les couvre-feux se multiplient, qu'ils soient pris par les préfets en accord avec les maires, comme à Mulhouse (ville à tel point touchée qu'elle a dû démentir la rumeur d'une patinoire transformée en morgue), Charleville-Mézières, Montpellier ou encore Perpignan, ou par les maires seuls, comme à Béziers ou Cholet. Reste que, là encore, les tactiques divergent. En réaction à la décision choletaise, le préfet du Maine-et-Loire a ainsi fait part de sa désapprobation, "ne préconis[ant] pas une généralisation" de cette mesure et demandant aux maires qui l'envisageraient de lui fait connaître leurs intentions "avant toute décision". Une adaptation au contexte local qui semble logique à l'heure de la "décentralisation, différenciation et déconcentration", mais qui n'est pas sans alimenter une certaine confusion.
Des équipements disparates et limités
Cette prolongation et ce renforcement des mesures ne vont pas sans poser la question des équipements dont disposent – ou pas – les forces de l'ordre, en contacts réguliers avec la population. "Il n'est pas facile de contrôler une carte d'identité à deux mètres de distance", souligne Fabien Golfier. Là encore, sans surprise, la situation est très disparate. Globalement, la situation des policiers municipaux est plutôt moins mauvaise que celle de leurs collègues de l'État. "Plusieurs collectivités avaient fait des stocks", rapporte le policier, qui souligne toutefois "qu'ils ne sont pas inépuisables". Ce n'est toutefois pas le cas de toutes, loin s'en faut. Or cette absence de protection n'est évidemment pas sans conséquence. Pour les policiers eux-mêmes en premier lieu – beaucoup craignent pour leur santé et celle de leur famille, et certains menacent de se retirer, même s'ils n'en ont pas le droit – et sur leur disponibilité. "À Toulouse, la contamination suspectée d'un agent a entraîné le confinement de 70 collègues", indique Fabien Golfier. Mais aussi sur la population : "Le risque est qu'à force de contacts, nous devenions un vecteur de contamination."
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